[MUSIQUE] Voilà , Mesdames et Messieurs, ravi de vous retrouver pour cette deuxième semaine de cours. La semaine dernière, nous avons examiné d'abord l'utilité de ce cours et l'utilité de connaître les usages en matière de rédaction des contrats. Nous nous sommes intéressés ensuite à la façon d'appréhender un contrat déjà rédigé, avec les problèmes de droits applicables, de qualifications du contrat, d'interprétations de ce contrat. Et puis aussi, ce que j'avais appelé les zones marécageuses, c'est-à -dire dans tous les ordres juridiques, ces domaines dans lesquels il est vraisemblable de trouver des règles impératives susceptibles de conduire à la nullité totale ou partielle du contrat. Et puis ensuite, nous avions continué avec un certain nombre de documents qui n'étaient pas encore des documents contractuels, mais qui avaient néanmoins une certaine importance juridique. Ce sont les documents pré-contractuels, donc tous ces documents que les parties échangent dans le cadre de la négociation de ce contrat, et dont je vous avais expliqué qu'ils pouvaient être dangereux, parce qu'au regard des principes de conclusion d'un contrat, il suffit que les parties soient d'accord sur les éléments objectivement essentiels de ce contrat, pour que celui-ci soit conclu. Et donc, il faut faire attention. Ce n'est pas très difficile de faire attention. Cela consiste soit à intégrer une clause subject to contract dans le document, soit à faire ce qu'on appelle une réserve de forme, c'est-à -dire indiquer clairement que les parties ne seront pas obligées tant qu'elles n'auront pas signé un contrat en forme écrite. Alors, à ce sujet, j'aimerais faire avec vous un petit exercice, juste pour vous montrer comment un document qui n'a pas l'air de grand chose peut vite s'avérer un document dangereux. Et alors, ce document va s'afficher devant vous, et je le lis avec vous. C'est une simple lettre, ou cela peut être un email ou un courrier quelconque, par lequel une partie se réfère à une réunion qu'elle a eu avec une autre partie qui s'appelle Edouard. Cher Edouard, C'était un plaisir de vous rencontrer mardi. Je vous confirme que nous sommes très intéressés par l'acquisition de 20 % du capital-actions de votre société Alphafinance, au prix que vous avez indiqué. Il faudra bien sûr que nous nous mettions d'accord sur les garanties de passifs et nos avocats reviendront vers vous avec un projet de Share Purchase Agreement qui devrait servir de base à nos discussions. Ce projet intégrera le principe de first refusal sur lequel nous étions d'accord. En attendant, nous comptons sur votre promesse de nous garder l'exclusivité de l'affaire pendant le temps de nos discussions, qui doivent bien sûr rester confidentielles. Voilà , et puis, celui qui rédige ce courrier conclut. Si tout ceci vous convient, merci de nous le confirmer pour que nous puissions aller de l'avant. C'est une lettre aimable, qui n'a pas l'air de grand chose. Et on voit bien que dans l'esprit de celui qui la rédige, il s'agit en réalité de commencer des discussions. Maintenant, que se passe-t-il si la partie qui reçoit cette lettre répond : oui, je suis d'accord avec votre proposition? Et que cette partie-là considère que le contrat est déjà conclu? Alors, évidemment celui qui a écrit cette lettre va dire : mais, comment, le contrat ne peut pas être conclu sur la base de ce document-là . Nous avons dit dans le document que nous étions très intéressés. Intéressés, cela ne veut dire encore que nous sommes d'accord. Nous avons dit, dans ce document, qu'il fallait que nous nous mettions d'accord, ce qui prouve bien que nous ne sommes pas encore d'accord. Et puis, on a parlé de projet de contrat, qui devait être signé. Donc, ce projet de contrat n'a pas été signé, évidemment, nous ne sommes pas engagés. Et puis, enfin, on parlait de discussions. Donc il s'agit d'un document précontractuel, qui a pour but d'ouvrir des négociations. Mais bien entendu, tant que nous ne tombons pas d'accord sur l'objet de ce contrat, eh bien, nous ne sommes pas liés, et par conséquent vous ne pouvez pas nous demander l'exécution de ce contrat. Alors, évidemment, la partie qui plaide ceci doit peut-être aller un petit peu plus loin dans sa réflexion et dire ce dont il s'agit. Alors, il s'agit vraisemblablement en tout cas, d'une lettre d'intention. Puisque clairement, il ressort de ce document que les parties souhaitaient ouvrir des négociations. C'est déjà en soit une information importante, parce que cela veut dire que les deux parties assument des obligations précontractuelles et donc des responsabilités précontractuelles sur la base de ce rapport de pourparlers, qui se met en place, par la signature de cette lettre. La partie qui toujours plaide qu'il ne s'agit que d'un document précontractuel peut aussi dire qu'il y a, dans ce document précontractuel, les éléments d'un accord-cadre de négociation. Vous vous souvenez ce que les Allemands appellent le iii Vereinbarung, que les Anglais ne qualifient pas vraiment, parce qu'ils ont tendance à identifier cela à un memorandum of understanding, donc cette idée que les parties se mettent d'accord sur certains éléments de la négociation. Et là , il y a des accords forts sur les éléments de la négociation. Il y a notamment, cette idée que les discussions doivent rester confidentielles. Et puis, cette idée que tant que les parties discutent, eh bien, il faut ne pas discuter avec des tiers, il faut que l'exclusivité de l'affaire soit réservée au correspondant de celui qui veut vendre. Ce sont deux accords classiques. Le premier, accord de confidentialité. Le deuxième, Lock Out Agreement, accord d'exclusivité dans le cadre de ces négociations. Et ce sont deux accords qui font de ce document, clairement, un document cadre de négociation, un accord-cadre de négociation. ou un iii Vereinbarung. La question qu'on peut se poser par rapport à cela, c'est : qu'est-ce qui se passe si ces clauses-là ne sont pas respectées? Alors, c'est à la fois grave et pas grave. Grave, parce que c'est la violation claire d'accords qui ont été passés. Certes, des accords de négociation, mais des accords quand même. Et donc, potentiellement, la partie qui a violé ces accords, par exemple, le vendeur qui s'adresserait à un autre acheteur potentiel, ou le vendeur qui dévoilerait l'existence de ces négociations serait responsable, à l'égard de son partenaire précontractuel. Mais c'est moins grave qu'il n'y paraît, parce que responsable d'accord, pour quels dommages? C'est toujours assez délicat d'établir le dommage dans cette situation-là . Il faudrait que le partenaire précontractuel du vendeur établisse que la violation de cet accord d'exclusivité ou la violation de cette confidentialité lui a causé un dommage. En d'autres termes, qu'il serait dans une meilleure situation économique si l'accord de confidentialité ou l'accord d'exclusivité avait été respecté. Bon, c'est tout à fait faisable. C'est difficile à faire, l'établissement du dommage est délicat, mais c'est tout à fait faisable. Et si les enjeux sont important, aucune des deux parties ne va se gêner à plaider sur la violation de ces accords de négociation. Et puis, la partie qui plaide qu'il ne s'agit que d'un document précontractuel, avec toutes ses conséquences, pourrait aussi admettre qu'il y a quand des éléments d'un memorandum of understanding, tel que nous l'avons ensemble défini, c'est-à -dire un accord sur certains points déjà acquis. Et des points substantiels ici. Puisque d'après cette lettre, les parties sont d'accord sur l'objet de la vente, 20 % du capital actions Alphafinance, sur le prix, le prix que vous nous avez indiqué, et puis sur certains éléments annexes, par exemple le fait qu'il y aura dans ce projet, dans cette vente, un first refusal. Un first refusal, qu'est-ce que c'est? C'est un terme anglo-saxon, qu'on pourrait traduire en français par un droit de préemption. Mais, la pratique, notamment dans ces contrats de vente d'actions, utilise plutôt les termes anglais, par lesquels, qui prévoient que si une des parties ensuite veut vendre ses actions, elle devra en premier lieu les proposer à l'autre actionnaire. De façon à ce que n'intervienne pas, dans l'actionnariat de la société Alphafinance, un tiers qui ne conviendrait pas à celui qui reste. Bon, donc il y a des accords déjà assez avancés entre les deux parties, qui fait qu'on peut au moins qualifier cela de memorandum of understanding. Mais seulement de memorandum of understanding. Pourquoi? Eh bien, il reste des points à négocier. Et des points non négligeables. Par exemple, la garantie de passif. La garantie de passif, c'est quoi? Lorsque vous achetez une société, évidemment, il faut s'assurer que cette société n'a pas des passifs importants, qui pourraient faire perdre de la valeur à ses actions, et c'est la raison pour laquelle, eh bien, des garanties doivent être données à cet égard. Cela pourrait être le point de vue d'une des deux parties. C'est un document précontractuel, nous assumons les responsabilités précontractuelles qui peuvent en décoller, en découler pardon, mais ce n'est qu'un document précontractuel. L'autre partie pourrait dire, mais, écoutez, de quoi parlez-vous? Il ne s'agit pas d'un document précontractuel. Sur quoi sommes-nous d'accord? Mais c'est très clair, cela ressort de ce document. Nous sommes d'accord sur l'objet du contrat, nous sommes d'accord sur le prix. C'est ce que toute la littérature juridique considère être les éléments objectivement essentiels d'un contrat de vente. L'objet du contrat, le prix. Bien sûr, il y a des éléments sur lesquels nous ne sommes pas d'accord. Mais ces éléments sur lesquels nous ne sommes pas d'accord, ce sont des éléments secondaires. Or, en droit suisse, mais pas seulement en droit suisse, dans tous les ordres juridiques, le juge peut compléter l'accord des parties sur les éléments qui sont secondaires. Et donc, le juge complètera l'accord des parties sur ces garanties de passif. Et puis, bien sûr, bien sûr, c'est vrai, il y a la réserve entre guillemets d'un projet de Share Purchase Agreement. Donc, on pourrait se dire, on attend que ce Share Purchase Agreement, ce contrat de vente d'actions soit signé. Mais, il arrive souvent que les parties soient d'accord, qu'elles se serrent la main, que le deal soit fait. Et puis qu'ensuite, pour des raisons de documentation, pour des raisons fiscales, pour des raisons de communication routière aux financiers, aux actionnaires, eh bien, on soit obligé de formaliser cet accord. Formaliser un accord, ce n'est pas le conclure. Et donc, même si les parties ont réservé la formalisation de leur accord, cela ne remet pas à cause le fait qu'elles étaient d'accord sur les éléments objectivement essentiels. Donc, vous devez accepter que le contrat est conclu, et si vous n'acceptez pas l'exécution de ce contrat, vous devez nous payer des dommages et intérêts, mais cette fois-ci des dommages et intérêts qui seront faciles à calculer, dommages et intérêts correspondant à la perte que nous subissons si ces actions ne nous sont pas livrées, ou si elles n'ont pas été achetées au prix qui a été convenu. Voilà le litige qui peut survenir. Et c'est un litige qui peut porter sur des montants extrêmement importants. Parce que supposer que ces actions de la société Alphafinance bondissent pour une raison ou une autre. Evidemment, l'acheteur ne sera, voudra que ce soit un contrat et voudra pouvoir acquérir ces actions à ce prix-là , et puis le vendeur ne voudra plus. Et donc, le dommage ce serait la différence entre le prix qui a été convenu ici, et puis la valeur des actions, le jour où celles-ci auraient normalement dû être livrées. Et pour un dommage de ce type-là , je peux vous le dire, les parties vont discuter fermement, âprement, de la question de savoir s'il s'agit d'un contrat qui a été conclu ou pas. Et, la partie qui considère que c'est un contrat qui a été conclu a tout de même de très bons arguments. Des arguments qui sont confirmés par l'article 2 du Code des obligations, si le droit suisse est applicable, et des arguments qui sont aussi confirmés par tous les principes en matière de contrats commerciaux. J'ai ici les Principes Unidroit en matière de contrat de commerce international, et je voulais juste vous lire la clause qui correspondrait à notre article 2 du Code des obligations, et à cette idée que si les parties sont d'accord sur l'essentiel, eh bien, il faut qu'elles disent expressément, qu'elles ne veulent pas être liées si elles veulent réserver des accords sur d'autres points. C'est l'article 2.1.13 des Principes Unidroit. Where in the course of negociations one of the parties insists that the contract is not concluded until there is agreement on specific matters or in a particular form, no contract is concluded before agreement is reached on those matters or in that form. Il faut qu'une des parties insiste ou indique expressément qu'elle n'entende pas être liée tant que des accords sur des points marginaux, la garantie de passif, ou sur une forme particulière, le Share Purchase Agreement, ne seront pas passées. Est-ce que vraiment celui qui a écrit cette lettre imprudente a insisté sur ce point-là ? Est-ce qu'il a expressément indiqué qu'il n'entendait pas s'engager avant que ces deux conditions, l'accord sur la garantie de passif, et la signature du Share Purchase Agreement ne soient réalisées? C'est très discutable. Et compte tenu des enjeux en cours, cela se discutera devant des tribunaux vraisemblablement. Et pour vous dire franchement, c'est dommage. Parce qu'il n'était pas difficile de tuer ce litige dans l'œil. Il suffisait d'un tampon, qui existe dans certaines études d'avocats, plutôt anglo-saxonnes. Un tampon subject to contract. Mettez subject to contract sur cette lettre, et il n'y a plus aucun problème. Il ressort clairement de cette indication que celui qui a écrit la lettre n'entend pas s'engager avant qu'un contrat formel ait été conclu. Ou alors, si vous êtes plus, vous vous inscrivez plus dans la tradition des pays de droit civil, vous faites une réserve de forme. C'est ce qui était prévu aussi comme possibilité dans les Principes Unidroit, c'est ce qui est prévu en droit suisse, à l'article 16 du Code des obligations. Les parties peuvent se mettre d'accord sur une forme impérative. Une forme impérative conventionnelle. Mais elles ne l'ont pas fait là . Elles ont juste dit que cela devra être formalisé. Formalisé, cela ne veut pas dire expressément qu'on ne sera pas lié tant que le contrat ne sera pas signé, donc il faut le dire, c'est très simple. Nous ne serons évidemment pas liés tant que ce Share Purchase Agreement n'aura pas été signé par les deux parties. C'est une phrase. Mais, c'est une phrase qui peut, le cas échéant, vous épargner plusieurs mois, voire plusieurs années de litiges, avec des montants extrêmement importants en terme de dommages et intérêts à provisionner. Voilà , c'était juste un petit exemple, en partant d'une lettre qui n'avait pas l'air de grand chose à vrai dire, pour vous montrer le risque de litiges que ces documents précontractuels peuvent induire, et donc la nécessité de faire attention à ces documents contractuels, et le cas échéant, de prendre les précautions dont nous avons parlé ensemble. [AUDIO_VIDE]