Bonjour à toutes et à tous. Je m'appelle Marc Antoine Messer, je suis urbaniste et spécialiste des questions de la gouvernance territoriale et d'instruments de la planification. Je vous propose d'effectuer un panorama des pratiques de la planification territoriale en Europe en se questionnant sur leur évolution historique, le rôle des différents acteurs et des différents niveaux institutionnels, ainsi qu'en mettant en lumière les enjeux particuliers qui émergent lorsque nous tentons de planifier un territoire dont les habitants, les services et les biens sont de plus en plus mobiles. Que nous parlions selon les pays de l'espace francophone plutôt d'aménagement du territoire, de planification urbaine ou de développement territorial, nous faisons finalement référence à un ensemble de politiques publiques qui tendent aux mêmes finalités. L'objectif poursuivi est en effet de manière très large de gérer et d'orienter le développement futur de notre territoire. Pour préciser le propos, nous pouvons regrouper les buts de la planification territoriale autour de quatre grandes ambitions. Détailler ces ambitions permet aussi de comprendre comment la planification territoriale se construit comme politique publique et s'est enrichie au fil du temps. En effet, chacune des ces grandes ambitions est l'héritage d'une époque spécifique et d'une certaine conception du rôle de la collectivité en matière de gestion du territoire. Nous pouvons les nommer : sécuriser, affecter, préserver, projeter. Sécuriser est la première des ambitions de l'aménagement du territoire, c'est aussi la plus ancienne. En effet, elle est directement issue de la volonté hygiéniste du XIXe siècle. L'urbanisme émerge alors comme une nouvelle politique publique et vise à sécuriser, à nettoyer et à airer le tissu bâti. De cette époque est héritée l'idée d'une police des constructions qui fixe les gabarits des bâtiments pour permettre la gestion des flux. Les cartes montrent les volumes bâtis pour éviter l'incendie et planifient de grands développements des villes européennes, tel l'exemple ici du projet d'extension de Barcelone de 1859. Affecter est la deuxième ambition de l'aménagement du territoire. Le processus d'affectation du sol vise à attribuer à chaque partie du territoire une fonction spécifique en vertu d'une rationalité fordiste où la division spatiale reprend la logique de la division de la production. Cette division nette de l'espace entre les fonctions du logement, du travail, du transport et de la récréation est au cœur de la Charte d'Athènes de 1933 et se retrouve par exemple magnifiquement bien mise en œuvre dans le plan de Brasilia. La ville est délimitée ainsi sur deux axes importants et monumentaux. Le premier, l'axe monumental, délimite clairement un espace qui est ici dévolu aux fonctions administratives par exemple, alors que les deux ailes de la ville délimitent clairement des fonctions résidentielles et de logement. Cette deuxième ambition, affecter, est aujourd'hui le sujet de nombreuses critiques légitimes. Le fractionnement spatial entre la ville, le travail, le déplacement nous semble en effet trop rigide. Surtout, cette conception fonctionnelle du territoire est de moins en moins en phase avec nos pratiques réelles. La désindustrialisation, la tertiarisation nous ont en effet fait passer dans un modèle que certains désignent comme post-fordiste ou post-moderne. Ainsi, il est devenu courant de travailler sur son lieu de vie, de se déplacer tout en travaillant par exemple, brouillant la division nette entre les fonctions. Pourtant, de cette deuxième ambition est issu aussi l'instrument encore central de l'aménagement du territoire, à savoir le plan de zone. L'élaboration de plan de zone, attribuant à chaque parcelle une fonction spécifique, demeure ainsi un des cœurs de travail du spécialiste de l'aménagement du territoire tel que nous le voyons par exemple ici sur cet exemple de Belgique. La troisième ambition prend ses racines dans les changements rapides de l'après-guerre et surtout les Trente Glorieuses. La croissance économique soutenue pendant presque trente ans engendre un profond mouvement d'abord de suburbanisation en couronne des villes, puis de péri-urbanisation, c'est-à -dire une diffusion de l'habitat et de l'activité partout sur le territoire. C'est dans ces décennies que la plupart des États européens se dotent d'une compétence en matière d'aménagement du territoire. Le dépassement des frontières institutionnelles des villes et des communes rend en effet indispensable l'intervention d'un acteur suprarégional. L'étalement urbain et le limitage du territoire nécessite une réponde proportionnée. L'État légifère ainsi et ancre des principes fondamentaux de préservation des paysages, d'occupation mesurée du sol ou de densification dans les zones urbaines. Le processus est très clair dès les années 1950 en France. En Belgique, l'aménagement ne devient une compétence de l'État qu'en 1962. En Suisse, en 1969. La quatrième ambition de la planification est aussi celle qui est probablement la plus récemment apparue, projeter. Par projeter, il faut comprendre la capacité de la collectivité d'être partie prenante dans un processus de transformation, soit de l'initier, soit de l'accompagner, voire de le gérer directement. La quatrième ambition est presque un renversement de paradigme par rapport à l'affectation ou à la sécurisation. L'intervention sur le territoire n'est plus passive, en distinguant ce qui est autorisé de ce qui ne l'est pas, elle est au contraire active. Cette ambition est issue d'un certain retour à la ville que nous observons en Europe très clairement, depuis le tournant des années 2000, avec un focus politique donné à la requalification urbaine. La collectivité participe ainsi aux transformations de l'espace de vie telles les interventions urbaines autour de des réalisations de l'infrastructure du tramway, utilisé comme support pour requalifier l'ensemble du tissu bâti et les espaces publics, ici illustré par l'exemple célèbre de Marseille. Ces objectifs ou grandes ambitions de la planification territoriale s'articulent dans un ensemble de politiques publiques. L'aménagement du territoire doit donc être à la fois capable de sécuriser, d'affecter, de préserver et de projeter. Cela est la mission des différents niveaux institutionnels, qui sont autant d'acteurs clés de l'intervention sur le territoire. Les niveaux institutionnels se répartissent les compétences en matière d'aménagement du territoire sans qu'il n'y ait ni de règles générales, ni véritablement d'unité entre les pays en Europe. Certains pays européens distinguent le niveau national comme étant le responsable privilégié en matière d'aménagement du territoire. C'est le cas par exemple de la France, où le code de l'urbanisme, établi par l'État central, vaut pour l'ensemble du territoire. Dans d'autres cas, c'est la mission de l'échelon régional. Cela vaut par exemple pour l'Autriche, où les Länder sont compétents et où il n'existe pas de loi nationale sur l'aménagement du territoire. Dans d'autres cas, la compétence peut être partagée, c'est la cas pour la Suisse. L'État fédéral est responsable de définir les principes et le régional, ici les cantons suisses, sont responsables pour définir la mise en œuvre. Parfois encore, cela peut évoluer dans le temps. Ainsi, pour la Belgique, la compétence était initialement nationale, puis a été redonnée aux régions en 1980. La répartition des compétences entre les niveaux institutionnels est normale et rationnelle. Pourtant, elle ne peut éviter un problème majeur, celui de la non-superposition entre, d'une part, les périmètres de la planification et d'autre part, les périmètres de vie. Cette question de non-superposition est finalement aussi ancienne que la création même de l'agglomération, et elle a occupé un point important de la recherche en sciences politiques et en planification depuis au moins un siècle. À l'échelle locale par exemple, les communes sont en charge de la planification. Or, l'extension de l'urbanisation a brouillé peu à peu les limites communales et l'individu les franchit sans même les apercevoir. Dans une société de plus en plus mobile, la planification se heurte ainsi à une difficulté majeure qui est d'opérer sur un territoire qui est fini. Cela se présente comme un problème identique aux autres échelles institutionnelles. Ainsi, un territoire urbain peut sembler cohérent et donner l'image d'un seul territoire fonctionnel, tel ici présenté une portion de la métropole lémanique en Suisse. Pourtant, lorsque nous superposons les frontières communales, cela donne une autre représentation, celle d'un espace morcelé entre différents territoires institutionnels qui sont compétents en matière de planification. Dans la pratique, l'aménagement du territoire tente de résoudre cette difficulté de non-superposition des territoires par deux modalités parallèles, la coordination des plans et la subordination des plans. La coordination des plans vise à donner une cohérence globale à des planifications voisines dans l'espace. Cette coordination peut prendre la forme d'un document de planification ad hoc. Un bon exemple est celui issu de la pratique française avec le schéma de cohérence territoriale. De plus, les planifications inférieures doivent être conformes aux planifications supérieures. Cette subordination des planifications est un principe central de l'intervention des différents niveaux institutionnels sur le territoire. Un plan local doit être ainsi conforme par exemple aux stratégies et orientations retenues dans la planification élaborée par le niveau institutionnel qui lui est directement supérieur. Pour finir ce tour d'horizon des pratiques de la planification, il est encore nécessaire de rajouter que, pour se doter d'une vision cohérente du développement futur de leurs territoires, les collectivités peuvent aussi élaborer des visions spatialisées, même si celles-ci ne sont pas directement des instruments reconnus de l'aménagement du territoire. Ainsi par exemple, les agglomérations en Suisse élaborent un document dit de projet d'agglomération, tel qu'il est visible ici pour le cas de l'agglomération de Fribourg. Ce document fixe les grandes orientations, mais il doit encore être transcrit dans les instruments des différentes communes pour véritablement devenir un document liant. Ce type d'exemple devient de plus en plus courant dans la pratique sous forme par exemple de l'utilisation des master plans. Ces outils permettent aux différents acteurs de se mettre d'accord sur un futur souhaitable pour leur territoire, car la planification est aussi un exercice de conciliation entre les intérêts souvent divergents de l'ensemble des acteurs intervenant sur le territoire, planificateurs, collectivités, secteurs économiques, habitants, vous et moi.