[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour et bienvenue. Cette session est consacrée aux inégalités. C'est un sujet central pour la transition énergétique, écologique et sociale. Un monde inégalitaire ne pourra pas réussir sa transition vers une économie décarbonnée. Nous commencerons par nous interroger. Pourquoi faut-il réduire les inégalités? Puis nous montrerons que de fortes inégalités subsistent entre pays et que notre mode de développement actuel ne réduit ni les inégalités ni la pauvreté. Ne pas transformer notre mode actuel de développement c'est se condamner à un monde inégalitaire en termes de revenus, de patrimoine et d'accès aux ressources. Pourquoi, donc, faut-il réduire les inégalités? Il y a d'abord les inégalités que l'on peut mesurer en termes monétaires, les inégalités de revenus ou de patrimoine entre les pays et à l'intérieur d'un pays donné. Mais on devine que la notion d'inégalité ne se réduit pas à son sens exclusivement économique. Le philosophe américain, John Rawls, a construit en 1971, une théorie de la justice distributive fondée, primo, sur l'accès pour tous à un panier de biens premiers dont font partie les libertés, les droits et les opportunités auxquels chacun doit pouvoir avoir accès. Secundo, cette distribution primaire étant assurée, la théorie de la justice de Rawls est fondée sur le principe de différences ou de Maximin, maximiser le sort du plus défavorisé. C'est cela la justice selon Rawls. De son côté, l'économiste indien, Amartya Sen, a étendu cette approche à la notion de capacité, c'est-à -dire d'aptitude potentielle de chacun à exercer un droit. Exemple, tel paysan indien dispose du droit de vote, fort bien. Mais s'il ne sait pas lire ou s'il habite une région trop enclavée pour pourvoir rejoindre un bureau de vote, en réalité, il n'a pas la capacité de voter. Avec Cécile Renouard, j'ai travaillé sur la construction d'un indicateur de capacité relationnelle qui mesure la qualité du lien social dans une société. Avons-nous la capacité de nous intégrer dans des réseaux, d'avoir des relations humaines fécondes? On peut mentionner, enfin, l'Indice de Développement Humain, développé par Sen et Haq, qui classe les pays selon leur niveau de développement en prenant en compte non seulement le revenu, mais aussi l'éducation et l'espérance de vie. L'indicateur de capacité relationnelle et l'indice de développement humain sont des exemples d'indicateurs multidimensionnels qui conjuguent plusieurs dimensions d'un même phénomène. Ce caractère pluridimensionnel témoigne de ce que les inégalités ne peuvent pas se réduire à la seule dimension du revenu monétaire. Il faut donc réduire les inégalités, d'abord, pour des raisons éthiques comme l'a montré, par exemple, la philosophe américaine contemporaine Martha Nussbaum, le bien d'autrui fait partie intégrante du bien de chacun. La réduction des inégalités n'est pas un moyen mais c'est d'abord un but éthique en lui-même. Au fond, c'est la grande percée de Kant et des Lumières du 18e siècle que d'avoir montré que se soucier du bien d'autrui est une condition minimale d'humanité. Une société où je cesse de me soucier d'autrui est une société inhumaine. Sur le plan économique, Joseph Stiglitz a montré dans son ouvrage Le Prix de l'Inégalité, que l'inégalité génère des coûts pour la société, le manque de cohésion sociale, par exemple, qui se traduit par des grèves, des problèmes de criminalité, de santé, etc. Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds Monétaire International, a déclaré dans un discours de 2012, je cite, que la diminution des inégalités va de pair avec une stabilité économique renforcée et une croissance plus durable. Enfin, les épidémiologues britanniques, Pickett et Wilkinson, ont montré dans The Spirit Level, qu'une société plus égalitaire est une société où même les plus riches se portent mieux en moyenne. Enfin, il ne faut surtout pas croire à la théorie du ruissellement qui a été longtemps enseignée mais qui s'avère fausse. Cette théorie prétend que les revenus des individus les plus riches finiraient pas bénéficier à l'ensemble de la société car ils seraient réinvestis. Pourquoi? Parce que les plus riches épargnent, en moyenne, davantage que les plus pauvres. Or, l'épargne serait la condition de l'investissement et donc de la croissance. Pourtant cette argumentation est fausse. Les plus riches épargnent, en effet, davantage que les plus pauvres, ça c'est vrai mais cette épargne n'est pas nécessairement investie dans des projets créateurs de bien-être. Par exemple, une part substantielle finit par alimenter des bulles spéculatives sur les marchés financiers en gonflant, artificiellement, le prix des actifs financiers. Ou bien, une autre part finit par financer les projets immobiliers pharaoniques en Chine qui alimentent, cette fois, une bulle immobilière et sont extraordinairement émetteurs de gaz à effet de serre. Ensuite, l'épargne n'est pas un préalable à l'investissement. C'est la création monétaire, le crédit banquaire, qui créent les dépôts et l'épargne et non l'inverse. C'est en s'appuyant sur cette théorie erronée que les États-Unis et le Royaume-Uni ont réduit l'imposition des revenus élevés dans les années 1980. Et, en effet, depuis les années 1970- 1980, les écarts de revenus se creusent dans les pays développés comme nous allons le voir. De fortes inégalités subsistent entre les pays. Pour la mesurer, pour mesurer l'inégalité de revenus entre les pays, on utilise ce qu'on appelle la Parité de Pouvoir d'Achat. En anglais, Purchasing Power Parity, PPP. En effet, avec un dollar, il est évident qu'on achète davantage à New Delhi qu'à New York. Le PIB par habitant en PPP est une mesure du pouvoir d'achat réel moyen d'un habitant dans un pays. Vous trouverez, en annexe, une explication sur la manière dont on effectue ce calcul qui dépend d'un grand nombre de conventions. Entre 1820 et 1970, les pays émergents ont progressivement rattrapé les pays anciennement industrialisés et les inégalités de revenus en PPP entre pays ont commencé à se réduire. On voit, par exemple, sur ce graphique, que l'Inde et la Chine ont réduit l'écart en termes de PIB par habitant en PPP et les projections de l'OCDE indiquent qu'elles continueront à le faire au cours de ce siècle. Mais attention, si l'écart se réduit en termes relatifs, les différences de pouvoir d'achat en valeur absolue continuent d'augmenter. L'OCDE prévoit, par exemple, que l'écart continuera de se creuser en termes de pouvoir d'achat entre la Chine et les États-Unis dans les 50 années qui viennent. Or, l'Inde et la Chine sont des pays émergents ce qui n'est pas le cas de tous les pays en développement donc malheureusement rien ne garantit que l'inégalité entre pays se réduise en termes absolus dans l'avenir. Notre mode de développement ne réduit ni les inégalités ni la pauvreté. Pour mesurer l'inégalité à l'intérieur d'un pays, on utilise souvent le coefficient de GINI. Il vaut zéro si tout le monde a le même revenu, c'est l'égalité parfaite, et un si une seule personne possède la totalité des revenus, c'est l'inégalité maximale. Si vous souhaitez en savoir plus sur ce coefficient, vous trouverez une note méthodologique en annexe. Vous voyez sur ce graphique que les inégalités varient considérablement d'un pays à l'autre. Parmi les pays les plus égalitaires, on peut citer la Suède dont le coefficient de GINI vaut 24 %. Et parmi les plus inégalitaires, on peut citer l'Afrique du Sud avec un coefficient de GINI de 59 %. En Chine et en Inde, l'inégalité est élevée, coefficient de 50 %. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont moins égalitaires que les pays d'Europe continentale. Vous voyez ici, par ailleurs, que si les inégalités ont baissé dans les pays développés au début du siècle, elles sont en forte recrudescence à partir des années 1970. Par exemple, aux États-Unis, en 2010, les 1 % les plus riches ont perçu 20 % du total des revenus, ce qui correspond à un retour en arrière d'environ 100 ans en termes d'inégalités de revenus. Une autre vision, ici par décile, montre que la richesse est très inégalement répartie aux États-Unis. Enfin, la pauvreté, quant à elle, n'a pas disparu dans les pays développés, peu s'en faut. Le critère de pauvreté généralement retenu est d'être contraint de vivre avec moins de 60 % du revenu disponible médian dans un pays donné. Le revenu médian, si vous l'avez oublié, c'est le revenu en-dessous duquel se situe la moitié de la population. Et l'autre moitié, la population se situe, logiquement, au-dessus du revenu médian. Aujourd'hui encore, 45 millions d'américains vivent sous le seuil de pauvreté ainsi défini soit près d'un américain sur sept. Dans l'Union européenne, 124 millions de personnes sont pauvres, toujours selon ce critère, soit près d'un européen sur quatre. Quant à la population vivant en situation de pauvreté extrême, c'est-à -dire avec moins de 1,90 dollar en parité de pouvoir d'achat par jour, elle s'est, certes, réduite d'un peu plus d'un milliard de personnes au cours des 20 dernières années sur la totalité de la planète. Mais sur ce milliard, 800 millions de ces humains, qui sont sortis de la trappe de la grande pauvreté, sont chinois. Leur sort ne doit donc rien, ou presque, aux solutions préconisées par le consensus de Washington aux cours des 30 dernières années. En outre, le rapport de la Banque Mondiale, Shock Waves, ondes de choc, dirigée par Stéphane Hallegatte, prévoit que d'ici 2030, 100 millions de personnes pourraient retomber en-dessous du seuil de pauvreté extrême à cause du dérèglement climatique. Pour pouvoir apprécier véritablement la contribution du développement planétaire des trois ou quatre dernières décennies à la sortie de la grande pauvreté, il faudrait donc tenir compte de l'impact différé du climat que notre mode de développement a profondément bouleversé. Et du coup, rien ne prouve, aujourd'hui, que le bilan sera finalement positif. Notre monde reste inégalitaire en termes de revenus, de patrimoine et de développement. Ce graphique recense les données des revenus collectés par la Banque Mondiale en 2015 en parité de pouvoir d'achat. Les revenus nationaux annuels bruts par habitant vont de 390 dollars au Niger, par exemple, à 93 820 dollars en Norvège. Les 3 % des individus les plus riches du monde se partagent plus des deux tiers du patrimoine mondial alors que les 41 % les plus pauvres ne disposent même pas de 1 % de celui-ci. Quant à l'indice de développement humain en 2010, il variait de 0,5 pour une grande partie du continent africain, à plus de 0,9 pour l'Amérique du Nord. Et donc les inégalités, aujourd'hui, sont prégnantes non seulement en termes de revenus, de patrimoine mais également en termes d'indices de développement humain. Merci. Notre première session est terminée. Nous avons déconstruit ensemble l'idée que notre mode de développement actuel rendrait les hommes plus égaux. [AUDIO_VIDE] [MUSIQUE]